Les Italiens dans l'Armée française
 
 
Francesco Frasca

Les Italiens dans l’Armée française (1796-1814) : recrutement In « REVUE HISTORIQUE DES ARMÉES » N° 1 – 1996 © S.H.A.T.


Nous sommes étonnés du bilan extraordi­naire des Italiens sous les aigles de l'Empereur Napoléon, vu que la réputa­tion d'inaptitude guerrière des Italiens était Si bien établie, même aux yeux de leurs compa­triotes, que toute initiative pour les plier au métier des armes semblait par avance vouée à l'insuccès. Or, nous pouvons trouver une expli­cation. En effet, si au XVIIe siècle l'Italie n'offre que deux armée dignes de ce nom, celle du Piémont et de Venise, en revanche, elle offre un cadre intéressant pour les milices.



Les milices

En Piémont-Savoie la conscription existe déjà aux XVIe~XVIIe siècles, sous forme déguisée d'appel général des milices, consti­tuées à l'exemple de la France et organisées pour servir de réserve à l'armée régulière. En 1714, le maréchal Rehbinder donne à la milice une organisation remarquable. Dix bataillons de 1 000 hommes sont formés, un tiers du total de l'armée, dont la levée est laissée au soin des communautés d'habitants. Cette milice, comme en France, est placée sous les ordres des inten­dants de province. Bien organisés et entraînés, les miliciens sont rassemblés tous les ans au mois de mars pour six, puis pour quinze jours. Et, si au Piémont la conscription n'est pas une nou­veauté, à Venise non plus.

Les "cernide" vénitiennes et istriennes et les crame dalmates, instituées au XVIe siècle par Venise, représentent une forme déguisée de conscription. A savoir, on estime à 24 000 hommes qui concourent à la formation de l'armée de Terre, dont la force théorique est de 10 000 - 15 000 hommes. Ces miliciens, levés parmi les hommes de 18 à 45 ans, sauf les pères de famille et à raison d'un homme par maison, sont obligés de s'entraîner un dimanche par mois. Les compagnies des "cernide" sont assemblées tous les ans aux mois d'août et novembre "mostra di centuria" (110 hommes); et au mois de mai "mostra generale".

En 1794, Venise déclare sa neutralité armée et arrête une levée sous forme d'«estrazione» (tirage au sort) et de «coscrizione» (réquisition sans tirage au sort). En plus, elle essaye d'orga­niser une milice générale à l'instar du Piémont et de la "Landsturm" des pays allemands. Mais ces mesures tardives ne remédient pas à une crise très grave, qui touche tout l'appareil de défense de la Sérénissime.

A Gênes les milices ou cerne", qui remontent au XVe siècle, ont une organisation comparable à la milice piémon­taise. En 1636, la ville de Gênes dispose d'une milice bourgeoise "milizia cittadina" de 4 000 hommes (40 compagnies), puis 15 000 hommes en 1746 "milizia urbana" : 3 "legioni" de 35 com­pagnies. Avec la Révolution et l'occupation française la milice bourgeoise se transforme en Garde nationale.

En 1594 à Parme la milice pay­sanne est constituée par le duc Ranuccio Ier. On l'estime à 38000 hommes en 1737. Les villes de Parme et Piacenza avaient leur milice bour­geoise "milizia urbana" mise en place en 1631 par le duc Odoardo Famese. Toutes ces milices sont dissoutes en 1806.

A Modène, il y a une "milizia nazionale" sorte de « Landwehr », qui en 1740 a une force de 3100 hommes.

A Milan, l'organisation de la milice paysanne "forese" remonte à 1637. Elle compte 8 000 hommes âgés de 18 à 50 ans, tirés au sort dans les com­munes, qui sont assemblés deux fois par an "mostre generali". La milice bourgeoise "milizia urbana" date de la même époque. Ces forces mises en place par les Espagnols sont réorganisées par les Autrichiens et prennent le nom de "milizia nazionale dello Stato di Milano".

En Toscane, la réorganisation des milices (qui existent depuis 1506) est effectuée pendant la guerre de succession d'Espagne (1706-1707) par le grand-duc Cosimo III: en 1741, elle dispose de 9 000 hommes. La conscription est introduite en 1753, la "capitolazione" touche les hommes de 18 à 30 ans, astreints à servir dix ans dans les régi­ments de l'armée réglée. En 1767, la conscrip­tion est remplacée par le "discolato", c'est-à-dire les enrôlements dans l'armée de criminels et vagabonds. En 1795, la force théorique de la milice "Corpo delle Bande" va de 12 152 à 13 665 hommes. En 1799, les bandes sont dissoutes par le gouvernement militaire français.



Les départements français d’Italie

Après ces prémisses voyons les conséquences de l'introduction de la conscription française en Italie.

En 1796, le roi de Sardaigne est l'un des premiers à entrer dans la coalition contre la République, mais presque tous ses Etats sont rapidement conquis et annexés; le 10 décembre 1798, Charles-Emmanuel IV doit céder à la France tous ses droits sur le Piémont qui devient le 2 avril 1801 la 27e division mili­taire.

Le Piémont n'est pas le cas unique d'in­corporation à la France, mais il présente à ce point de vue un intérêt singulier. On peut y voir soit un exemple transposable dans d'autres pays, la Hollande, soit un cas spécifique ; les deux points de vue sont valables.

Toutefois le Piémont se voit partagé entre ses régions situées en deçà ou au-delà des Alpes, et d'autre part la Sardaigne. Cette dernière, restée indépendante, fut l'asile d'une émigration dans le pays même, en recevant le roi et ses officiers.

Cet "exil" du roi explique que les paysans, coupés de leurs souverains, en font une sorte de figure mythique vers qui ils se tournent et y trouvent un motif de résistance d'autant plus âpre, que la conscrip­tion les touche plus cruellement que les citadins.

Donc nous avons un Etat à tradition militaire qui a fait la guerre contre la France de la Révolution et qui se trouve annexé et trans­formé en départements, une émigration qui fait partir en Sardaigne une partie de ses officiers, mais pas tous, et le recrutement des soldats pié­montais dans l'Armée française avec référence régionale.

Pour une France dont la population est estimée à 34 813 473 habitants (an XIV)1, le Piémont présente une population de 1 813 473 habitants.

De 1800 à 1810, 166 556 hommes ont été portés sur les tableaux, 53 740 ont été réformés, 19 303 ont été appelés (1801-1805), 23 961 correspondent aux contingents réunis des levées primitives extraordinaire, supplémen­taire et complémentaire (1806-1810). Le total des hommes appelés est de 44553.

Le total des hommes passés sous les drapeaux y compris les volontaires et les vélites, est porté à 38 243. Le nombre des déserteurs, insoumis et réfractaires, est de 9 272.

Dans le cadre de la situation européenne, malgré les difficultés rencontrées dans la conscription, ces résultats font du Piémont un cas qui tranche encore sur celui des pays annexés à l'Empire par l'importance de la conscription par rapport à sa population. Les chiffres fournis ne donnent qu'une faible idée de la masse des recherches longues et sérieuses dont ils sont l'aboutisse­ment.

Fondée en 1797, la République ligurienne est annexée à l'Empire le il juin 1805, et forme les trois départements de Gênes, de Montenotte, des Apennins. Peu de temps après l'annexion, Napoléon songe à introduire la conscription en Ligurie, ainsi que la levée des matelots. Il se heurte à l'opposition du gouverneur Lebrun qui a interdit la levée des matelots à Gênes. Napoléon n'a réuni Gênes que pour avoir des marins. Mais il veut à tout prix en tirer des conscrits. La conscription introduite dans les départements gênois par le décret impérial relatif à la levée de la conscription de l'an XIV n'est suivie dans les départements gênois que de résultats très médiocres. De 1806 à 1810, 38 862 hommes ont été portés sur les tableaux; 15 900 ont été les contingents réunis des levées primi­tive, extraordinaire, supplémentaire et complé­mentaire; il 657 est le total des hommes passés sous les drapeaux. Le nombre des déserteurs, insoumis et réfractaires, est de 4 911. Restent libres du service 12 775 hommes. Cette situation ne paraît guère s'améliorer par la suite, en partie à cause de la répugnance des Gênois pour le service de terre. De là, l'im­portance de la désertion facilitée en outre par la complicité des habitants et des autorités.

Les duchés de Parme et de Plaisance, occupés par les Français en 1802, sont annexés le 21juillet 1805 à l'Empire, dont ils forment le départe­ment du Taro, le 28 mai 1808. Depuis 1806 jusqu'à 1810, 16 419 hommes ont été portés sur les tableaux, 3 073 ont été réformés. Le total des hommes réunis est de 4 550, des incorporés 3 190. Conscrits en route 884. Le nombre des déserteurs est de 225, les insoumis et réfractaires sont de 797, restent libres du service 7 690 hommes.

Les Etats de Parme et de Gênes réunis à la France et soumis aux lois de la conscription ajoutent à la popula­tion de l'Empire 800 000 hommes.

A savoir, les états de Parme, etc., 300 000 habitants; la Ligurie en Apennin, Gênes et Montenotte : 500 000 habi­tants. Pour une population totale de l'Empire français de 35 613 473.

L'île d'Elbe fut réunie à la France en 1802, mais la conscription avait déjà été appli­quée à partir de 1801. De 1801 à 1805, conscrits portés sur les tableaux 277, réformés 8, appelés 126, nombre d'hommes partis 27, nombre d'hommes incorporés 12, Gardes-côtes 476, nombre des déserteurs 114, nombre des arrêtés 1.

De 1806 à 1810 : portés sur les tableaux 922, réformés 119, total des hommes passés sous les drapeaux est porté 177, nombre des déserteurs, insoumis et réfractaires, 69.

Pour les Vicariats de Pontremoli, les données disponibles sont: total des hommes appelés 92, hommes passés sous les drapeaux 82, nombre des déserteurs, insoumis et réfractaires 29, conscrits excédants 18.

L'annexion du Royaume d'Etrurie à la France lui donna le 24 mai 1808 les départe­ments de l'Arno, de la Méditerranée et de l’Ombrone : 29e division militaire. Des départe­ments accrurent la force des régiments français, en y versant leur contingent militaire. La loi de la conscription fut appliquée en 1808, imposant un contingent de i 500 hommes. Les résultats dans les années 1808-1810 sont les suivants: conscrits appelés 3 011, incorporés 1 001, en route 860, qui ont abandonné leur détachement en marche 415. Le nombre des déserteurs, insoumis et réfractaires n'est pas ins­crit dans le registre. Ces chiffres doivent être intégrés avec ceux d'une levée appliquée par l'arrêté du 3 février 1811, dont le contingent tiré de la levée de 1810 est de 2 365 hommes. Par contre la levée du il août 1811 donne 4 900 hommes, Toscans, Ombriens et Romains. On estime 13 000 – 14 700 toscans demandés de 1808 à 1813.

Pour l'Ombrie et le Latium (département du Trasimène et de Rome, 30e division militaire), le premier recrutement est de 500 hommes le 20 mars 1809, les deux qui suivent du 3 février 1811 et du 11 août 1811 sont de 1 000 hommes chacun. La conscription rencontre une vive opposition.

Pour les départements italiens de l'Empire français, l'état des documents d'archive nous donne la possibilité de connaître de façon com­plète le produit de la conscription jusqu'en 1810, mais à par tir de cette date, le précieux travail des deux premiers directeurs généraux de la conscription Hargenvilliers et Lacuée vient à cesser (voir aux archives nationales de Paris les cotes AF IV 1123-1124). Pour la suite, la situa­tion vient à se compliquer, il n'y a pas de registres, ainsi notre recherche s'est basée sur les rapports envoyés à l'Empereur par leurs succes­seurs : Dumas et d'Hestrel (voir aux Archives nationales les côtes AFIV 1126-46). Les sources présentent des lacunes et ne donnent pas un cadre complet, comme pour la situation anté­rieure. Toutefois, cela suffit à démontrer l'im­portance de la conscription et des phénomènes d'opposition à la conscription. Les besoins mili­taires devenant énormes, d'après les états de répartition des conscrits pour les départements italiens, la demande est très considérable et comparable à la situation en France.



Le Royaume d'Italie

La situation dans le royaume d'Italie res­semble en proportion à celle des départements italiens de l'Empire. En juillet 1797, la République cispadane et la Lombardie forment la république cisalpine. L'armée est le miroir d'une société italienne en pleine évolution. La légion cispadane de 2 500 volontaires et la légion lombarde de 3 700 volontaires, vont renforcer les effectifs toujours décroissants de l'armée d’Italie.

Vers la fin de 1797, après la paix de Campo-Formio, ces 6 000 volontaires avec l'incorporation des bataillons vénitiens et brescians de l'ancienne armée de la république de Venise, deviennent 8 000, ensuite 15 000 hommes. Les lois des 1er décembre 1798 et 30 octobre 1801 sur la conscription, qui portent sur les tableaux 7 000 hommes, n'ont ni succès ni suite. Lors de l'invasion autrichienne, une partie des troupes est dispersée au milieu des corps français en petits détachements, l'autre trans-formée en demi-brigades. Elles combattent aux côtés des troupes françaises en 1799 et ses débris repassent les Alpes. Voulue par Napoléon la Légion italique s'éleva à près de 8 000 hommes, et passe au compte de la République cisalpine le même jour qu'y rentrèrent toutes les troupes ita­liennes, après la victoire de Marengo. A Milan, l'armée est reconstituée à deux reprises différentes (30 décembre 1800 -18 sep­tembre 1801). Au moment de la Consulte de Lyon (décembre 1801-janvier 1802), elle com­porte un effectif réglementaire de 24 000 hommes; en réalité, elle ne compte que 8 000 présents. Cette situation pénible n'empêche pas l'intégration des troupes cisalpines dans l'Armée française, nous avons 8 256 cisalpins sur 15 256 auxiliaires étrangers encadrés dans l'armée d'Italie. C'est un tribut considérable, vu que l'armée italienne qui théoriquement aurait dû comprendre 22 000 hommes atteint à peine la moitié en février 1802.

Or, les efforts pour les soustraire de la tutelle humiliante du corps d'occupation fran­çais, portent à une levée d'un contingent de 20 000 conscrits, sur une population de 2 857 668 habitants.

Les résultats de la conscription font doubler les effectifs de l'Armée italienne: 1er janvier 1803,12 405; 1er décembre 1803, 25 035. En réalité, la conscription établie par une loi votée le 13 août 1802 par le Corps législatif, peut seule assurer le recrutement régulier de l'armée.

En effet, la force théorique de l'armée italienne au 1er juin 1803 est de 82 000 hommes pour une popula­tion de 5 000 000 d'habitants, répartis entre 22 000 en service actif en temps de paix, dont 15 000 conscrits, soit les cinq sixièmes des appelés et 40 000 hommes dans la réserve. La loi Jourdan est étendue à la Cisalpine mais la conscription est deux fois plus lourde qu'en France et suscite des révoltes à Vicence, à Padoue, dans les Marches. Les insoumis sont 40 000 en 1809. En 1812, une grande battue permet d'en arrêter 7 000. En 1805, on lève 16 conscrits pour 1 000 habitants contre 4 en France; en 1808, on enlève 18 contre 3 et de 1810 à 1814, 22 contre 10. Un tiers des jeunes gens d'âge militaire est appelé contre 10 à 20 % en France. En chiffres : 6 000 hommes en 1804, 9 000 en 1807, 10 000 en 1808, 18 000 en 1809, il 400 en 1810 et 15 000 en 1811, 1812,1813, 1814. De 1796 à 1814, inscrits sur les tableaux 309 464, enrôlés 165 432 conscrits, 44 000 volon­taires, 8 000 dalmates, pour un total de 217 432 hommes. En 1812, pour une population de 6 700 000 habitants, 200 000 hommes sont portés sur les tableaux (une moyenne de 40 000 pour chaque classe) ; déduction faite des exemptés et des réformés, ceux qui sont reconnus aptes pour le service sont 112 000, les 56 % des hommes portés sur les tableaux. Des écoles militaires sont fondées à Modène (artillerie), Bologne (infanterie), Lodi (cavalerie). Venise, avec ses arsenaux et son collège naval, est un port de guerre important. En 1814, sept vaisseaux sont en construction.
Le total de la force de l'armée italienne connaît l'évolution suivante 32 000 hommes en 1805, 36 000 en 1806, 44 000 en 1808, 50 000 en 1809, 60 000 en 1811, 88 935 en 1812, 114 000 en 1813. Au total, sur 215 000 incorporés dont 8 000 Dalmates, les pertes ont été de 125 000.

Depuis 1815, Vienne envoie les unités ita­liennes en Bohême et en Galicie; des Allemands et des Croates sont stationnées en Lombardie­-Vénétie. L'Autriche paie les pensions et recon­naît les décorations françaises (Ordre de la Couronne de fer).



Le recrutement en Italie

A notre avis, le problème du recrutement en Italie ne regarde pas une attitude face aux armes, mais l'adaptation psychologique à une situation qui est imposée par des raisons poli­tiques. Les Italiens des départements annexés à l'Empire sont devenus citoyens français et sont donc assujettis à la loi Jourdan. Se sentent-ils comme faisant partie de la Grande Nation? Sur les résultats des levées pèsent les diffé­rentes réalités sociales, politiques et psycholo­giques des pays italiens, en plus la géographie du territoire et sa productivité.

Le phénomène regarde surtout la campagne et il est limité aux pays montagneux ou aux territoires de frontière. Les refus sont dus à des raisons économiques, le manque de bras en agriculture, politiques, à savoir l'opposition au régime français (partisans de la Maison de Savoie, des Bourbons, des Habsbourg, etc.) d'un côté ou bien de l'autre, l'opposition à l'évolution de ce régime (procla­mation de l'Empire ou encore espoirs d'une défaite des Français).

Il ne faut pas oublier le rôle fondamental joué par la religion dans un pays bien catholique. La crainte des conscrits de mourir au combat sans les derniers sacrements, porte Napoléon à réintroduire dans l'armée l'aumônier militaire.

Donc, il y a des facteurs qui entrent dans des motivations de caractère psy­chologique, et qui touchent la sensibilité et la mentalité : peur de la mort, de la violence dou­leur d'abandonner le pays d'origine, le foyer, etc. Les facteurs climatiques, la belle saison ou les rigueurs de l'hiver interviennent aussi.

L'attitude des autorités est oscillante: par­fois, des amnisties comme celles en 1806 et en 1810 permettent de récupérer un tiers des man­quants, ou bien elles choisissent les voies de la rigueur, multipliant la fréquence et la force des colonnes mobiles de gendarmes. Tous ces fac­teurs déterminent l'irrégularité des flux des conscrits, qui arrivent aux dépôts. Le brigandage est un phénomène de nature conjoncturelle, qui se superpose à une situation endémique déjà existante. Ce choix extrême est fait par les jeunes gens quand tous les expédients pour se soustraire à la conscription ont échoué.

Il est souvent soutenu par les agents des coali­tions, et les moyens de répression pour le com­battre sont bien souvent insuffisants.

Au brigandage fait écho la force subversive des croyances religieuses populaires, perçues par les autorités comme fanatisme aveugle, qui, opportunément manipulé peut dégénérer en insurrection ("Sanfedisti, Viva Maria"): "Furor populi, furor Dei !".

Le rôle joué par les curés dans leur paroisse, résulte pour le pouvoir central d'un moyen fondamental de contrôle social des masses paysannes. Ces situations sont géné­rales et regardent, dans la même mesure, aussi l’autre volet de notre recherche : le Royaume d'Italie.

Total 313 000 contingents demandés aux départements italiens de l'Empire et à ceux du Royaume d'Italie. Si à ces données nous ajoutons le contingent de 70 000 hommes demandé au Royaume de Naples, le total pour l’Italie napoléonienne est de 383 000 conscrits. On trouvera en annexe un état des conscrits incorporés dans l'armée d'Italie et dans la Grande Armée.
Comparaison avec les autres pays annexés

Dans le cadre de la situation européenne, ces résultats font de l'Italie napoléonienne un cas qui tranche encore sur celui des autres pays annexés à l'Empire par l'importance de la conscription par rapport à sa population. Grâce aux ouvrages relatifs à la conscription dans les départements belges1 il est possible de se former une idée de la vive opposition, voir des révoltes dans les campagnes flamandes (la guerre des paysans), allemandes2 et luxembour­geoises (Klôpperlkrieg), qui ont donné lieu àl'introduction de la loi Jourdan dans les quatre divisions militaires belges : la 24e (Dyle, Escault, Jemappes et Deux-Néthes), la 25e (Sambre et Meuse, Ourthe et Meuse-inférieure), la 16e (Lys, Pas-de-Calais et Nord) et la 3e (Forêt et Moselle). De l'an VII au sénatus-consulte du 15 novembre 1813, pour une population de 3 028 705 d'habi­tants, 225 147 hommes ont été appelés, 216 111 incorporés, 89 267 ont été réfractaires et déser­teurs dont 24 560 seulement réincorporés. Pour la période de 1807 à 1810, le nombre des réformés s'élève à environ 17,9 % des appelés3. Pour l'Allemagne, la thèse de Charles Schmidt le Grand-Duché de Berg-(1806-1813), Etude sur la domination française en Allemagne sous Napoléon 1er, donne l'importance numérique des contingents demandés aux départements de la Rive gauche du Rhin et à la Confédération du Rhin : Bavière 1/114; grand-duché de Berg (au début) 1/133; Wurtemberg 1/112; en Wesphalie 1/91; Francfort 1/100. En 1811, Berg donne 1/104. Enfin, l'ouvrage de Georges Servières, l'Allemagne française sous Napoléon 1er fournit le cadre de l'établissement de la conscription, dans la 32e division militaire (Ems supérieur, Bouches du Weser Bouche de l'Elbe) et de l'inscription maritime, thème qui regarde aussi la Hollande (17e et 31e divisions militaires) où la conscription établit toujours avec peine.



Conclusion

Les historiens italiens ont estimé à 500 000 le nombre des soldats encadrés dans les armées du Directoire et de l'Empire, dont 1/4 de volon­taires. Nos chiffres confirment cette évaluation avec une bonne approximation, due à la docu­mentation d'archives incomplètes, compte tenu du nombre des réfractaires et des déserteurs8 .
A savoir :10 500 pour le Piémont, 8 400 pour Ligurie et Parme, 3 700 pour la Toscane, 3 500 pour Ombrie et Latium, 24000 pour le Royaume d'Italie (1805-1810, le double en 1802-1813).



Note

1) A. Darquenne, «La Conscription dans le département de Jemmapes (1798-1813) » dans Annales du cercles archéologique de Mons, tome 67, pp. 1-425, 1970. François Decker, la Conscription militaire au département des forêts, 1980, 2 volumes. E. Gachot, « Le recrutement en Belgique sous l'Empire », Revue des études napoléoniennes, mai-avril 1918. Nurias Sales de Bohigus, le Service militaire en France et en Belgique au XIX, siècle, thèse de troisième cycle, Paris, 1965 ; et Revue d'histoire économique et sociale, 1988, n° 3. Augustin Thys, les Conscrits belges de 1789 a 1799, 1885, p. 356.

2) Edouard Gachot, « Les marchands d'hommes le recrutement de l'armée dans l'Allemagne française, 1812-1813 », Nouvelle revue, 1904, t. 28, pp. 379-389.

3) Voir Darquenne cité par Fred Stevens, Belgique, « La conscription et l'armée », dans Dictionnaire de Napoléon, sous la direction de Jean Tulard

4) Charles Schmidt, le Grand duché de Berg (1806-1813). Etude sur la domination française en Allemagne sous Napoléon le,, thèse présentée pour le doctorat à la facultés des Lettres de l'université de Paris, éd. Félix Alcan, Paris, 1905, pp. 150-177.

5) Charles Schmidt, op. cit., p. 154. Voir aussi Sauzey, les Allemands sous les aigles français, t. IV, le Régiment des duchés de Saxe, t. V, Nos Alliés les Bavarois, t. VI, les Soldats de Hesse et de Hanau, 1902-1912 ; cité par le colonel Pierre Carle dans Alliés (contingents>, dictionnaire de Napoléon, pp. 66-72.

6) Georges Servières, l'Allemagne française sous Napoléon I',, éd. Perrin, Paris, 1904, pp. 238-241.

7) Dr. M. Bussel, de la Conscription sous le régime français (en Hollande), cote D2u 2459, S.H.A.T., Vincennes.

8) Approximation par défaut, d'après J.-P. Bertaud :

9) «Nous sommes mal renseignés sur le nombre des réfractaires. Les archives sont difficiles â manier ou doivent l'être avec beaucoup de prudence les tables d'Hargenvilliers, publiées par G. Vallée, sont pleines d'erreurs. Le phénomène des "déserteurs en cours de route", de ces hommes guidés par des vétérans vers le lieu des combats, rend encore plus ardue la solution de la question:l'autorité civile ne voulait pas les compter comme insoumis puisqu'ils ne dépendaient plus de son pouvoir et l'autorité militaire n'en tenait pas le compte puisque, disait-elle, ils n'avaient pas été incorporés». Jean-Paul Bertaud, Problématique et direction de recherche, I'influence de la Révolution française sur les armées en France, en Europe et dans le inonde, Paris, C.F.R.M., tome I, p. 33.



Cet article a été reproduit avec l’autorisation du Service historique de l’Armée de Terre © S.H.A.T.