ALGERIE. Le taux de participation
n'atteint pas les 2% dans la région berbère, alors qu'il
était de plus de 28% au niveau national. Le scrutin a été
marqué la veille au soir par le massacre de 23 personnes
Opération villes mortes
en Kabylie lors des législatives
Christian Leconte, envoyé
spécial en Kabylie
Vendredi 31 mai 2002
Aucune circulation, des villes fantômes
hormis ici et là des groupes de jeunes agglutinés devant
des barricades, un silence pesant: la Kabylie paraissait jeudi, jour des
élections législatives en Algérie, comme vidée
de sa population. L'appel au rejet du scrutin lancé par les aârchs
(comités de village) a été largement suivi. La plupart
des bureaux de vote n'ont pas ouvert.
«Si le taux de participation
dépasse 0%, c'est qu'il y a fraude», résume Kamira,
rencontrée à Tizi Ouzou, le chef-lieu de la province. Kamira
est dans la région la seule femme déléguée
des aârchs. A ce titre, elle est dans la rue au milieu d'hommes décidés
à en découdre avec les forces de la police. «On est
sortis pour protester, explique Kamira. On a la preuve que le pouvoir a
affrété des bus remplis de personnes venues d'Alger pour
monter un simulacre d'élection. Un bon montage dans un studio de
la télévision, et le tour est joué: ce soir, l'ENTV
(chaîne unique algérienne) diffusera des images de votants
en Kabylie. C'est une honte!»
La rumeur a enflé et gagné
toutes les communes avoisinantes. Conséquence, des émeutes
ont éclaté et des sources locales ont fait état de
blessés, dont deux graves. Tizi Ouzou, l'ancien siège de
la coordination locale des aârchs occupé depuis le 25 mars
dernier par les CNS (Corps national de sécurité), a été
bombardé de projectiles. Venu en observateur, Salah Brahimi, un
député du RCD, l'un des deux partis kabyles ayant rejoint
le front anti-vote, se félicite de la mobilisation. «Je vais
perdre ce soir mon siège à l'Assemblée, mais je gagne
beaucoup de confiance, la Kabylie fait la démonstration de son union»,
déclare-t-il.
Urnes et bulletins brûlés
En dépit des nombreux barrages
filtrants érigés à l'entrée de chaque commune
par les habitants, des urnes et isoloirs ont parfois pu être acheminés
par les forces de l'ordre. A Tadmaït (20 km de Tizi Ouzou), un bureau
de vote a ainsi pu ouvrir dans une école, sous la surveillance d'une
dizaine de policiers. A 8 h 30, trois vieillards se sont présentés
pour accomplir leur devoir électoral. A 9 h, les trois bulletins
étaient partis en fumée ainsi que les urnes et les isoloirs.
«Les flics ont déguerpi quand les jeunes sont arrivés
et ils ont tout brûlé», indique le chef du bureau électoral.
Une odeur de brûlé flotte et des gamins jouent avec les milliers
de bulletins éparpillés dans la cour de récréation.
Le chef de bureau raconte qu'il est un fonctionnaire réquisitionné
par le Ministère de l'intérieur. «Je devais me présenter
pour ne pas encourir un blâme, les gens d'ici ne m'ont pas molesté
parce qu'ils ont compris que je n'avais pas le choix», justifie-t-il,
avant de lâcher dans un soupir: «C'est triste, un pays qui
brûle ses urnes.»
A 16 h, on enregistrait, selon le
Ministère de l'intérieur, un taux de participation de moins
de 2% pour la Willaya (préfecture) de Tizi Ouzou. Au niveau national,
le taux enregistré était de 38,15%.
Dal giornale LE
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